C'est moi qui l'ai fait...

Publié le par MLGOBRY

J’évoquai l’autre jour la copie servile ou intentionnelle sous sa propre signature, le plagiat, et stigmatisais le manque d’inspiration et d’originalité.

Maintenant, je voudrais vous parler de ceux qui s’attribuent tout simplement l’œuvre d’un autre, sans même se donner la peine de la copier, comptant sur l’abondance des ouvrages, ou l’anonymat relatif d’un artiste au milieu de leur nombre.

 

C’est pas comme ça qu’on peint…

Ceux qui se sont aventurés dans les durs sentiers de la peinture figurative avant qu’elle ne revienne à la mode ont certainement connu, comme moi, les avanies et la suffisance de ceux qui estimaient qu’ils n’étaient pas dans le droit chemin.

Habituellement, les artistes plasticiens sont tolérants entre eux. Ils ne cherchent pas à passer au laminoir votre travail dans votre dos. Nous sommes à une époque où beaucoup atteignent à l’excellence, dans tous les domaines. D’abord parce que l’accession aux études supérieures pour toutes les classes sociales a été facilitée depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. En particulier pour les femmes. L’accès à la culture a été généralisé par les media et le cinéma. La télévision, malgré le mal qu’on en pense, apporte dans les foyers les plus modestes des aspirations et des rêves auxquels ils n’auraient accordé aucune pensée avant elle. Plus une société est cultivée, plus elle produit de talents. Et aussi certainement d’autres phénomènes sont la cause de cette multiplication des éminences ; il y a de plus en plus de diabétiques, d’obèses, de myopes ; il y a de plus en plus de gens qui peignent, qui photographient, qui écrivent… Les éditeurs reçoivent une pléthore de manuscrits, les comités de lectures sont saturés ; parallèlement, une abondance d’artistes fleurissent sur le net, réclamant d’être distingués. Les débouchés sont comme un goulot d’étranglement ; les écueils sont la seule issue de la plupart de ces dons.

Malgré tout, disais-je, les artistes sont tolérants entre eux ; ils sont parfois leur mutuel public.

Cependant, quelques-uns ne peuvent retenir leur amertume et leur rage devant la concurrence.

Tenez, dernièrement, mes toiles ont été exposées en province, chez un brocanteur qui leur a consacré les murs d’une grange entière. On m’a rapporté certaine réflexion d’une visiteuse :

« Moi, j’ai fait les beaux-arts, c’est pas comme ça qu’on peint. » Et la brave dame de partir en guerre lourdement dans le pays pour me punir d’avoir exposé de l’art figuratif, sans s’interroger si j’avais fait moi-même les beaux-arts ou une quelconque autre école. Car il y a autant de beaux-arts que d’académies. Autant d’écoles de peinture que de maîtres. Et rien ne vous empêche de vous affranchir du lourd carcan que des études ont fait peser sur votre talent en l’emprisonnant dans des théories et des règles toutes faites. J’espère que cette ancienne élève des beaux-arts s’est remise à peindre, plaçant ainsi un cautère sur son dépit.

 

C’est moi qui l’ai fait…

Rare cependant est le public qui, n’ayant pas fait les beaux-arts, n’ayant pas suivi d’ateliers, garde un jugement indépendant. Car il ne faut pas se faire d’illusion : la critique officielle aussi distribue un modèle tout fait à suivre par les artistes, s’arroge le droit de les noter en fonction de critères bien souvent conformistes, et en attend une pensée et une création uniques.

Les motivations des artistes qui s’engagent dans ces voies toutes faites sont évidemment alimentaires. Alimentaires de luxe : ils en attendent de manger du caviar et du chou gras tous les jours. Hélas pour eux aussi, le trop grand nombre de génies du genre fournira plutôt du caviar aux marchands de matériel.

Du coup, pendant longtemps, ceux qui optaient, artistes et publics confondus, pour une seule forme d’art possible dès le 20e siècle et pour les temps futurs, l’art abstrait, prêtaient à l’art figuratif un côté nécessairement amateur.

Malgré de grands noms d’artistes figuratifs, malgré les inventions de ceux-ci pour mettre en valeur leur art, comme l’hyperréalisme, il n’en demeurait pas moins que beaucoup, croyant que seul l’abstraction témoignait d’un artiste véritablement professionnel, imaginaient, en voyant une œuvre réaliste, qu’elle avait été concoctée par le possesseur lui-même dans son arrière-cuisine.

« C’est vous qui l’avez fait ? » demandait-on au propriétaire, malgré l’invraisemblance d’une telle question.

De grands prix de la copie d’art, c'est-à-dire qui reproduisent au pinceau le tableau d’un musée dans toute sa virtuosité, ont vécu cela. C’est pourtant un travail excessivement délicat, qui répond à des exigences spécifiques : il doit, en plus de reproduire au mieux la technique exacte et la touche du maître, être proportionnellement légèrement plus petit ou plus grand que l’original, pour bien montrer qu’il s’agit d’une copie. Certains musées en acquièrent. C’est dire qu’il ne s’agit pas là de travail d’amateur. Bien peu en sont capables.

Comment imaginer que, du jour au lendemain, une personne réputée n’avoir jamais tenu un pinceau depuis le collège, puisse reproduire un visage, un paysage, une fleur avec le métier d’un artiste travaillant depuis des années ?

Cependant, il arrive que le propriétaire, flatté, réponde :

« Oui, c’est moi qui l’ai fait. »

Une écervelée, très contente de sa bonne blague, me raconta une anecdote à peu près la même, pour une de mes créations. Après m’avoir acheté une peinture, elle s’en attribua la facture. Pendant des années, je fus tourmentée par la facilité avec laquelle on avait cru cette vantardise et attribué ce travail à une personne qui ne peint pas et connue comme telle.

La réponse, je l’entrevois aujourd’hui. Seul l’art abstrait procède de la création, du talent, du génie. Le reste est possible à tous. Le « Radeau de la Méduse » (http://www.photos-galeries.com/le-radeau-de-la-meduse-de-theodore-gericault/), vous auriez pu le réaliser vous-même. Les fleurs de Redouté, aussi, n’est-ce pas. Prenez un pinceau, vous verrez.

Tout aussi invraisemblable, mais courant paraît-il, le « futur » artiste. Il s’approprie des œuvres qu’il n’a pas réalisées, démarche galeries et écoles avec elles sous le bras. Dans son optique, il peindra ou photographiera un jour, et ce vol lui apporte l’expérience qu’il n’a pas encore, mais qu’il se jure d’avoir un jour. A moins d’avoir emprunté des peintures d’une facture vraiment très banale, comment un connaisseur d’art averti peut-il y croire ? Si jamais ce néophyte s’exerce vraiment à l’art, il devrait être démasqué. Mais apparemment, cela n’arrive pas si souvent, sinon ces petits manèges ne seraient pas si répandus.

Dernièrement, un webmaster d'un site avait mis un lien sur le logo dont j'étais la créatrice ; ce lien renvoyait à lui-même, sans préciser qu'il n'était pas l'auteur du logo : ce génie était graphiste, créateur de logos...

On pourrait douter que ces paresseux passent un jour à l’acte, du reste, puisqu’ils n’en ont pas été capables pour justifier d’un talent qu’ils se sont attribué. Mais alors ? Outre que des tableaux disparaissent fréquemment après des expositions collectives, l’organisation réfutant toute responsabilité pour ces évanouissements, il existe tout un réseau de peintres qui ne signent pas leurs toiles et qui les vendent à bas prix à leurs signataires. A l’heure actuelle, la carrière de peintre est vraiment très dure. Mais il y a des (rares !) chanceux qui réussissent quelques plus-values…

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